En Europe, l’immigration est positive pour l’économie

Des économistes ont calculé l’impact économique des flux migratoires sur 30 ans dans 15 pays de l’Europe de l’Ouest.
En Europe, l'immigration est positive pour l'économie

Le 21 novembre 2017, Emmanuel Macron reprenait 20 ans après l’ancien Premier ministre Michel Rocard en assurant que « nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde  ». Mais si cette « misère » se révélait finalement être une richesse pour l’économie européenne ? C’est ce que concluent trois économistes du CNRS, de l’Université Clermont-Auvergne et de l’Université Paris-Nanterre à la suite d’une une étude macroéconomique mesurant l’impact économique et fiscal des flux migratoires entre 1985 et 2015 dans 15 pays d’Europe de l’Ouest publiée le 20 mai. Signe qu’il est peut-être un peu tôt pour enterrer cette bonne vieille utopie d’un monde sans frontières.   

L’indifférence dont les pays d’Europe ont fait preuve en refusant de voir débarquer dans leur port l’Aquarius, navire humanitaire avec à son bord 629 migrants secourus des tumultes souvent mortels de la Mer Méditerranée traduit une lourde inquiétude européenne à l’égard de la « crise des migrants ». Les raisons de ces inquiétudes sont multiples : barrières culturelles, religieuses, sociales… Mais surtout, c’est l’impact économique de la migration qui est brandi le premier comme problématique pour justifier une politique anti-migration.

30 ans de données 

Les économistes Ekrame Boubtane, Dramane Coulibaly et Hippolyte d’Albis ont souhaité vérifier le bien-fondé cet argument. Ils ont observé les conséquences des « vagues » migratoires qui ont touché l’Europe de l’Ouest pendant 30 ans sur le PIB, sur le taux de chômage et sur les finances publiques. Ces pays regroupent l’Autriche, la Belgique, le Danemark, la Finlande, la France, l’Allemagne, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, les Pays-Bas, la Norvège, l’Espagne, la Suède, le Portugal et le Royaume-Uni. Une région et période données qui ont connu des afflux de migrants lors des guerres dans les Balkans, de l’élargissement de l’Union européenne ou encore au cours des Printemps Arabes.

Pour les mesurer, les chercheurs ont distingué deux phénomènes : d’une part les flux migratoires, regroupant tout type d’immigration régularisée, et d’autre part les demandes d’asile, regroupant les personnes sollicitant le statut de réfugié car ayant dû s’exiler pour survivre, mais dont la demande est encore en cours d’examen. Le statut intermédiaire de demandeur d’asile permet aux personnes de résider légalement sur le territoire d’accueil en attendant le résultat de cet examen, mais ne leur permet souvent pas d’y travailler.

« Avec un migrant sur 1 000 habitants, le PIB augmente en moyenne de 0,17 % par habitant immédiatement et cela monte jusqu’à 0,32 % en année 2 »

Or c’est bien ce droit au travail qui semble peser dans la balance économique. D’après l’étude, les flux migratoires sont incontestablement positifs pour l’économie. « Avec un migrant sur 1 000 habitants, le PIB augmente en moyenne de 0,17 % par habitant immédiatement et cela monte jusqu’à 0,32 % en année 2. Le taux de chômage, lui, baisse de 0,14 points  », explique Hippolyte d’Albis, directeur de recherche au CNRS lors d’un entretien avec L’OBS publié mercredi 20 juin.

L’impact macroéconomique des demandeurs d’asile devient lui aussi positif au bout de quelques années, bien que proche d’être neutre : s’ils pèsent dans les finances publiques en attendant que leur demande soit examinée, cela évolue lorsqu’ils deviennent résidents et sont en droit de travailler, participant ainsi à l’effort de croissance du pays.

Les esprits VS la réalité

Des résultats en net décalage avec la perception des Européens, selon une étude de l’IPSOS datant de juillet 2017. Parmi les pays sondés, la population italienne se montre la plus inquiète face à l’immigration : deux tiers des Italiens pensent qu’il y a trop d’immigrés dans leurs pays, 47 % pensent que cela a un impact négatif sur l’emploi et 61 % pensent que cela pèse sur leurs services publics.

Vue du Lower East Side à New-York à la fin du XIXème siècle, quartier principalement peuplé de migrants Européens.

En France, c’est 53 % des sondés qui estiment que les immigrés sont trop nombreux au sein des frontières nationales, 37 % qui s’inquiètent pour l’emploi et 55 % qui pensent que l’immigration fait pression sur les services publics. Ces chiffres sont inférieurs en Allemagne, bien qu’elle ait accueilli en 2016 dix fois plus de réfugiés que la France proportionnellement à sa population selon le sociologue et démographe François Héran.

La politique des pays en matière d’immigration ne peut être fondée sur un supposé « coût économique » des migrants.

Cette nouvelle étude démontre que la politique des pays en matière d’immigration ne peut être fondée sur un supposé « coût économique » des migrants. Face à ces chiffres, l’Europe sera t-elle tentée d’ouvrir ses frontières après les avoir jugées néfastes à sa croissance ? Dans son interview à CNRS, Le Journal, Hippolyte d’Albis modère les conclusions trop véhémentes : « Ce n’est pas parce qu’il y a des bénéfices économiques liés aux flux migratoires en Europe qu’il faut nécessairement l’encourager. N’oublions pas que l’on parle de personnes !  »

La santé économique nationale n’est d’ailleurs pas le seul critère d’inquiétude des Européens. Francois Héran explique dans son livre Avec l’immigration : mesurer, débattre, agir (La découverte, 2017) que les tensions sociales sont le principal obstacle à de bonnes conditions d’accueil et d’insertion dans une société, rappelant que les migrants et enfants de migrants, même après plusieurs générations, sont les plus touchés par le chômage.

 

  

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Image à la une : © Shutterstock 

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